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S’inspirer des oiseaux pour se géolocaliser

Par Agathe Perrier, le 13 octobre 2023

Journaliste

Certains oiseaux migrateurs, comme le Bruant des prés, calibrent leur boussole magnétique en journée en utilisant la polarisation du ciel © Savannah Sparrow, Wikipédia

Des chercheurs marseillais se sont inspirés de la façon dont se repèrent certains oiseaux migrateurs pour créer une nouvelle méthode de géolocalisation. À l’avenir, celle-ci pourrait équiper des capteurs GPS qui seraient dès lors bien plus précis que les actuels. Ce travail, unique au niveau européen et protégé par un brevet, a été salué cet été par une publication dans une prestigieuse revue scientifique américaine.

 

Comment les oiseaux arrivent-ils à se repérer dans l’espace pendant la journée ? C’est en partant de cette problématique que les chercheurs de l’Institut des Sciences du Mouvement (ISM, voir bonus) de Marseille ont développé une méthode de géolocalisation inédite. Baptisée SkyPole, elle permet de se géolocaliser sans avoir besoin de boussole, ni de GPS ou d’étoile. Comment ? En se basant, à l’instar des volatiles, sur le pôle nord géographique. Bien plus facile à dire qu’à faire.

 

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Vue artistique illustrant ce que verrait la caméra polarimétrique déterminant le nord depuis le Vieux-Port © par Thomas Kronland-Martinet

Vrai et faux pôle nord

Le pôle nord géographique, c’est le « vrai » pôle nord, souligne Julien Serres, maître de conférences spécialisé dans la robotique bio-inspirée et le biomimétisme, membre de cette équipe de recherche (bonus). Il est à différencier du pôle nord magnétique qui, lui, peut se mesurer de quatre façons : via un compas magnétique, un gyrocompas, en utilisant les astres (comme l’étoile Polaire) ou encore grâce à un système de positionnement par satellite (dit GNSS). Problème : toutes ces méthodes présentent des inconvénients. « Le compas magnétique est très sensible aux perturbations électromagnétiques, le gyrocompas est très coûteux et relativement encombrant, les signaux des satellites peuvent être facilement brouillés ou être usurpés, et enfin les étoiles ne peuvent être utilisées que de nuit sous un ciel clair », résument les chercheurs.

En conséquence, le pôle nord magnétique est moins fiable que le géographique. D’où le choix des scientifiques de se baser plutôt sur ce dernier. Encore fallait-il réussir à le localiser.

 

 

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Léo Poughon au côté de la caméra polarimétrique, installée sur le toit de l’Institut des Neurosciences de la Timone © Stéphane Viollet

Première en Europe

Pour ce faire, les six membres de SkyPole ont installé une caméra polarimétrique sur le toit de l’Institut des Neurosciences de La Timone. Celle-ci est capable de capturer des images de la polarisation du ciel, un phénomène invisible à l’œil humain, mais perçu par certains animaux, dont des oiseaux migrateurs. Grâce à ces clichés pris sur plusieurs mois, les scientifiques ont pu mesurer la rotation du motif de polarisation de la lumière du ciel. Et mettre au point un algorithme permettant de définir, en toutes circonstances, la position du pôle nord géographique. « On a ainsi prouvé que, sur la base d’informations uniquement visuelles et sans prendre en compte la courbe du soleil, on peut trouver son cap et sa latitude (ndlr : sa position sur Terre selon un axe nord-sud par rapport à l’Équateur) en fonction du vrai nord », indique Julien Serres.

Cette première en Europe, a fait l’objet d’une parution dans la prestigieuse revue scientifique pluridisciplinaire américaine PNAS, en juillet dernier. Et d’un dépôt de brevet à la Société d’Accélération du Transfert de Technologies régionale (SATT Sud-Est). Cette structure a pour ambition de traduire les innovations de la recherche publique en applications pour l’industrie. Ainsi protégé, « personne ne peut utiliser cet algorithme dans le monde à des fins commerciales sans déposer de royalties », explique-t-il.

 

 

Des capteurs GPS pour robots droïdes

Les chercheurs souhaiteraient que leur découverte ait un débouché dans la vraie vie. « On réfléchit à comment fabriquer des capteurs intégrant cette méthode et qui serviraient de GPS », glisse Julien Serres. Le scientifique rêve de les voir un jour équiper des robots autonomes assurant des livraisons du dernier kilomètre. Pour le moment interdits en France, ces droïdes pourraient être autorisés d’ici quelques années. L’ISM collabore justement avec la start-up TwinswHeel, qui expérimente ce type d’engins à Montpellier, Toulouse ou encore près de Lyon. « Notre instrument de localisation leur permettrait d’avoir une mesure de cap beaucoup plus fine qu’un GPS standard », souligne-t-il. Des applications pourraient aussi être trouvées dans le domaine militaire.

L’équipe continue néanmoins son travail, afin notamment d’affiner son algorithme. « Notre but était de publier le plus rapidement possible. Donc l’estimation obtenue n’est pour le moment pas très bonne et l’on ne sait pas encore calculer la longitude (ndlr : sa position sur Terre selon un axe est-ouest par rapport au méridien de Greenwich) », précise Julien Serres. Comme souvent en sciences, les recherches pourraient se poursuivre sans fin. À condition d’avoir les ressources financières. Elles sont pour le moment assurées pour SkyPole – via Aix-Marseille Université et la fondation A*midex – jusqu’à l’année prochaine. ♦

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Les six chercheurs de l’équipe SkyPole (de gauche à droite : Marcel Pasquinelli, Julien Serres, Stéphane Viollet, Léo Poughon, Thomas Kronland-Martinet et David Duché) © Julie Moyret

 

Bonus

  • Les six chercheurs derrière SkyPole – Thomas Kronland-Martinet, Léo Poughon, Marcel Pasquinelli, David Duché, Julien Serres et Stéphane Viollet.