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Sup de Sub, une « anti-école » pour étudiants décrocheurs

Par Agathe Perrier, le 29 juin 2023

Journaliste

Chez Sup de Sub, les disciplines artistiques servent à des jeunes de 17 à 25 ans à se redessiner un avenir professionnel © DR

« École supérieure d’autodidaxie par l’art », tel est le slogan de Sup de Sub. Après un premier campus à Marseille, un second a vu le jour en Seine-Saint-Denis. La forme de l’enseignement y est à l’opposé des standards de l’Éducation nationale, car ses étudiants en ont justement décroché. Le but est de se servir des disciplines artistiques – chant, photo, cinéma, etc. – pour les aider à reprendre en main le cours de leur vie. 

 

Depuis le 17 juin, le Festival de Marseille bat son plein. Et dans la riche programmation de cet événement qui mélange danse, théâtre, concerts, installations, performances ou encore cinéma, l’une des dates permet de découvrir le fruit du travail des élèves de Sup de Sub (voir bonus en fin d’article). « Une anti-école », comme la présente son fondateur et directeur général, Jean-Michel Bruyère. « Elle est destinée à des jeunes gens pour qui le système scolaire n’a pas marché, pour des tas de raisons différentes. On prend le relais en constituant un programme dont l’objectif est de transmettre du savoir, de susciter des envies de connaître, en utilisant des moyens alternatifs. Donc, très délibérément, on prend tout à l’envers », explique cet artiste pluridisciplinaire.

Un contre-pied qui en 2019 a par exemple séduit Éric Delisse. À 20 ans, « perdu » dans sa vie professionnelle, il a intégré Sup de Sub. « Ce qui m’a plu, c’est le fait que l’équipe est là pour nous aider à trouver une voie, à accomplir un projet professionnel ».

 

 

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Au programme chez Sup de Sub notamment, une semaine en immersion dans un village pour la promotion entière © DR

Un programme jamais identique

Après un premier campus ouvert en 2014 à Marseille, le projet prend de l’ampleur cinq en plus tard en remportant un appel à projets du ministère du Travail (bonus). Un second campus voit alors le jour en Seine-Saint-Denis. Ici, pas de cours traditionnels. Le programme d’apprentissage n’est d’ailleurs pas identique d’une promotion à l’autre. « On ne fait jamais deux années de suite la même chose. On s’adapte aux individus, car même s’ils ont des problématiques se ressemblant, ils sont tous différents et cette différence se reporte sur notre manière de faire », indique Jean-Michel Bruyère.

Pour cette année 2022-2023, le programme s’est articulé notamment autour d’une semaine par mois d’ « immersion en village ». Objectif : œuvrer ensemble à la réalisation d’un film en impliquant les habitants. « Le but était de rencontrer les gens et de nous faire connaître, pas simplement de profiter d’un lieu et d’être seulement de passage », expose Anna, l’une des étudiantes du campus marseillais. Ce dernier se transportait à Barjols (Var) et les Parisiens à Lormes (Nièvre). « C’est un terrain idéal pour qu’ils sortent de leur chambre et comprennent comment fonctionne une communauté. Cette mission collective permet de leur apprendre à coopérer, chose qui est primordiale à nos yeux », souligne le directeur.

 

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Chaque mois, les étudiants de Sup de Sub ont une création à réaliser en groupe, dans la discipline de leur choix, comme la photo par exemple © Anna – DR

Pratique et collectif pour maître-mot

Le reste du temps, le mot d’ordre est également la pratique et le collectif. Pendant une autre semaine de chaque mois, les étudiants ont par exemple dû s’atteler à une création en autonomie totale via la discipline de leur choix. Seule contrainte : travailler en groupe – et jamais deux fois d’affilée avec les mêmes personnes – sur un thème imposé. Sup de Sub leur a mis à disposition du matériel et une équipe technique. Grâce à tous ces exercices pratiques, Sara, étudiante de la promo actuelle après avoir quitté le milieu scolaire très tôt, s’est découvert un « certain talent dans l’acting et la musique ». « Ça m’a aussi « débloquée » dans le sens où je n’étais pas aussi sociable que je peux l’être aujourd’hui. C’est une formation qui aide beaucoup les jeunes à s’épanouir et à se remettre dans le monde du travail », confie-t-elle.

Pour mener à bien ce processus de création, les élèves s’appuient sur les compétences acquises auprès de professionnels. Des intervenants viennent chaque mois présenter leur métier et partager méthode et savoir. « On choisit des gens très bons, de la région, de l’Europe ou du monde. Ils viennent expliquer leur façon de travailler », précise Jean-Michel Bruyère. À l’instar de Silvia Bigi. Avant de partir donner des cours à l’académie des Beaux-arts de Macerata, en Italie, elle a assuré des ateliers chez Sup de Sub en tant que professeure d’arts visuels. « Je pense que les étudiants de cette école ont un grand potentiel, des histoires puissantes à raconter. Qu’ils ont juste besoin de moyens appropriés pour être canalisés », estime-t-elle. Des rencontres qui peuvent déboucher sur de belles opportunités pour les jeunes. L’intervenante a par exemple proposé à certains d’entre eux de participer à des expositions numériques et à des festivals d’art.

 

 

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Chez Sup de Sub, le « parlement des étudiants » permet à chaque élève de donner son avis et déposer des requêtes aussi bien sur le contenu pédagogique que l’organisation du campus © DR

Des étudiants libres de donner leur avis sur tout

Une soixantaine de disciplines artistiques sont ainsi décortiquées au cours de l’année. À la demande des jeunes le plus souvent. Via le « parlement des étudiants », chacun peut en effet donner son avis et déposer des requêtes aussi bien sur le contenu pédagogique que l’organisation du campus. « On peut dire ce que l’on veut ou ne veut pas, au même titre que les intervenants ou la direction », apprécie Anna. L’étudiante de 21 ans est entrée chez Sup de Sub après avoir décroché d’études post-bac en langues étrangères qui l’ont déçue. Notamment en raison du fonctionnement très vertical du système scolaire français. « On doit juste écouter et suivre sans avoir rien à dire. Ici, il y a au contraire beaucoup d’écoute, de partage, de communication. C’est vraiment plus facile et agréable d’apprendre dans un cadre comme celui-ci », considère-t-elle.

Une façon de fonctionner propre à Sup de Sub, confirme Silvia Bigi. « Exerçant aujourd’hui dans une institution publique, je me rends compte de la liberté et de l’autonomie que cette école permet aux étudiants de trouver. À Sup de Sub, nous travaillons sur le terrain interdisciplinaire. De cette façon, les jeunes acquièrent différentes compétences et construisent leurs connaissances de manière personnalisée. Peut-être même en « transgressant » les règles traditionnelles des médias qu’ils utilisent, précisément en raison de la liberté qui leur est accordée », souligne-t-elle.

 

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Ancien étudiant de Sup de Sub, Éric est resté dans le domaine du cinéma et exerce aujourd’hui en tant que perchiste © Éric Delisse – DR

Fin d’un cycle, début d’un autre

Pour l’équipe de Sup de Sub, qu’importe si les élèves poursuivent dans les arts après leur départ. « Notre but est que cette forme de vie sociale qu’ils découvrent et qui leur plaît les mobilise, contribue à leur donner du courage et les conforte dans l’idée qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent », glisse Jean-Michel Bruyère. Les deux étudiantes marseillaises souhaitent tenter leur chance dans l’acting, voire la musique pour Sara. Éric, lui, a obtenu le statut d’intermittent du spectacle et exerce en tant que perchiste depuis plus d’un an. « Je vois mon futur axé dans le monde du cinéma. J’aimerais passer ingénieur du son d’ici une dizaine d’années », projette-t-il.

Cette année marque la fin de la phase expérimentale de l’appel à projets du ministère du Travail. Avant d’enchaîner sur une autre promotion, l’équipe de Sup de Sub va se laisser six mois de respiration. « Pour tirer le bilan et construire la suite, notamment trouver une trésorerie stable. On vise un redémarrage en janvier », indique Jean-Michel Bruyère. Le fondateur souhaiterait qu’en plus du contenu pédagogique, l’école intègre une solution de logement pour les étudiants les plus précaires. Des rêves de grandeur pour les aider encore mieux à reprendre leur vie en main. ♦

 

Bonus

  • Les élèves de Sup de Sub font le show – Ce samedi 1er juillet à La Criée. Les étudiants des deux campus présentent une sélection de travaux collectifs de leur année dans « Merci de vous libérer ». Entrée libre et gratuite. À partir de 16h. Toutes les infos en cliquant ici.
  • Aux origines de Sup de Sub, un opéra de quartier – L’école est pilotée par le collectif international d’artistes LFKs – La Fabriks. Depuis les années 1990, ces professionnels développent des programmes pédagogiques « à destination des jeunes gens qui ne sont pas les mieux servis », dixit Jean-Michel Bruyère, le fondateur. L’un a consisté à créer un opéra de quartier pour le festival lyrique d’Aix-en-Provence, en 2012. Les jeunes impliqués dans ce projet ont souhaité poursuivre l’aventure, posant les premières pierres de Sup de Sub – « Sup » pour supérieur, « sub » pour suburb, quartier en anglais. C’est en 2019 que l’école se structure, lorsqu’elle fait partie des lauréats de l’appel à projet « 100% inclusion » du ministère du Travail. Un campus s’ouvre alors en Seine-Saint-Denis et les promotions passent de 20 étudiants par an à 40.