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Pascale Spedale, jamais sans les autres

Par Nathania Cahen, le 15 septembre 2021

Journaliste

Pascale Spedale : « Il y a 10 mois, j’ai décroché le poste de mes rêves : entraîneuse de talents »

C’est Jane Bouvier, la pasionaria des enfants roms de Marseille qui m’a parlé de Pascale Spedale. De l’incroyable énergie que cette femme déploie pour les autres – « elle a toujours la patate, ça fait un bien fou ! ». Dans sa vie, cela s’est traduit de plusieurs façons : une famille nombreuse, des bras grands ouverts, une activité de postière, une autre au contact des enfants roms de Toulon, aujourd’hui « entraîneuse de talents » dans les cités de Marseille. Et j’oubliais, un bac décroché à 56 ans…

 

Elle rit, Pascale Spedale. Elle irradie la bonne humeur, et c’est communicatif. Jeans, baskets, tee-shirts et cheveux en liberté. Tatouages sur un bras, collection de bracelets sur l’autre. Et en bandoulière, visibles de tous ceux qui la connaissent, l’engagement social et l’envie d’aller vers l’autre.

« Il y a 10 mois, j’ai décroché le poste de mes rêves : entraîneuse de talents ». Depuis octobre 2019, elle a rejoint le projet « Grandir » porté par le groupe La Varappe : repérer et accompagner des 18-67 ans qui ont coupé les ponts avec l’emploi. « J’aime le terrain et là justement, il s’agit d’aller à la rencontre, de faire du porte-à-porte pour un accompagnement long de personnes éloignées du monde du travail. Quand je dis personnes éloignées, je parle de celles qui ne vont plus à Pôle Emploi ni nulle part, qui ne se déplacent plus du tout. Qui sont parfois éloignées du monde tout court ».

 

Valoriser les compétences douces
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Les entraîneurs de talents du projet Grandir @La Varappe

Ils sont quatre à porter ce drôle de titre et à sillonner des territoires distincts. Elle, c’est la cité des Aygalades, dans le 15e arrondissement et les Néréides-Bosquets, dans le 11e. La première approche s’effectue en binôme, pour se présenter, expliquer la démarche, questionner sur les éventuelles difficultés et proposer ses services. « Se rendre chez les personnes est instructif : on y repère les freins périphériques : quel est l’entourage, le cadre de vie, les difficultés visibles ».

La suite se joue solo. Aider à régler certains problèmes qui sont davantage que des freins : pas ou plus de carte d’identité, pas de numéro de Sécurité sociale, pas de compte à Pôle Emploi… Dresser un état des lieux : « Nous remettons l’humain au centre. Puis nous nous intéressons aux compétences douces (ndlr – également appelées « soft skills », soit des qualités personnelles et relationnelles, par opposition aux compétences techniques, dites « hard skills ») ». Chercher des solutions, des formations, du travail… avec le soutien des associations et acteurs sociaux déjà en place dans ces quartiers dits sensibles – tels l’Addap 13 ou le centre social L’Olivier bleu, mais aussi le cabinet de conseil en RH, Connect RH, l’association Nes et Cité.

Également donner les codes, apprendre les bonnes pratiques pour répondre au téléphone, ou se présenter à un entretien. « Cela amuse les plus jeunes, ils appellent cela le langage prout-prout », sourit Pascale.

« Elle est d’une générosité et d’une ouverture d’esprit incroyables », glisse, admirative, Jane Bouvier, qui s’occupe de la scolarité des enfants roms à Marseille. « Elle m’a dit si tu as des jeunes en difficulté tu peux me les envoyer. Ils ne vont pas toujours aux rendez-vous. Ou y vont en pyjama et claquettes. Mais elle ne se décourage jamais ! ».

 

 

Des « Projets Extraordinaires » pour réveiller l’envie
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Concert privé du rappeur Alonzo pour Grandir @La Varappe

En dix mois, Pascale Spedale a accompagné 75 personnes, dont 25 ont déjà trouvé un emploi ou une formation. « Un jeune Rom a signé pour une formation d’apprenti (CFA) il y a une semaine » s’enthousiasme-t-elle. Il y a aussi Alison avec son handicap cérébral. Elle n’était pas sortie de chez elle depuis trois ans et la chorégraphe varoise Cécile Martinez l’a faite danser. Car c’est cela aussi, le programme Grandir, des « Projets Extraordinaires » qui utilisent les talents et les compétences, les mettent en valeur. Redonnent confiance, envie.

« C’est difficile aujourd’hui, les mômes n’ont plus d’envies. Avant ils voulaient devenir pilotes, hôtesses de l’air… Alors je leur demande ce qu’ils rêvaient de faire quand ils étaient petits. » Il s’agit d’expériences de travail rémunérées et collectives, autour de projets portés par des acteurs si possible reconnus de l’art, de la culture ou du sport. Un tournoi de foot inter-entreprises, la participation au Festival international du film d’Aubagne, un concert privé avec le rappeur Alonzo, la réalisation d’une fresque avec le graffeur DOK…

Mais il faut rester très vigilant car l’enthousiasme du départ peut vite retomber, être parasité.

 

L’avantage de l’âge

Depuis 10 mois, Pascale se régale et en plaisante : « L’accueil est tellement chaleureux ! J’ai même demandé à mon patron de bénéficier de cours de gym car partout on m’offre des pâtisseries, des repas à partager… » Tout n’est pourtant pas rose, et le sourire se fendille parfois. « J’ai rencontré un couple de personnes âgées qui partage un appartement au 5e étage avec leur fils handicapé et suicidaire. Cela fait des années qu’ils demandent un rez-de-chaussée ou un premier étage. Il y a aussi le chagrin. La douleur. Celle de cette grand-mère dont le petit-fils a perdu la vie dans le règlement de compte de la cité Bassens, en juillet, confie-t-elle. Les petits guetteurs me fendent le cœur ».

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Pascale Spedale, 6 enfants, 4 petits-enfants et une énergie intacte pour ses idéaux !

Comme on s’en doute, Pascale Spedale ne s’en tient pas à sa seule feuille de route et ne s’interdit pas de parcourir les coursives d’autres cités ou de se frayer un passage dans les squats. « Mon âge est un avantage et me donne beaucoup de liberté, assure-t-elle. J’inspire plus de respect que si j’étais jeune. Je n’irais pas de la même façon et je ne trouverais pas le même accueil. »

 

 

La Poste et les enfants Roms de Toulon

Avant cette vie, Pascale Spedale en a donc connu d’autres. Elle a grandi en Alsace, mais jeune maman, a eu envie d’un autre environnement pour ses enfants. Moins étriqué et plus ensoleillé. Avec, au nord ou au sud, toujours un pied dans le social.

Il y a eu les petits boulots, dans les restos beaucoup. Et un gros boulot à côté avec une belle couvée à élever ! Dans le Var, elle a été engagée par La Poste (les PTT comme on disait alors) : « La seule entreprise qui a bien voulu embaucher une femme de 40 ans avec six enfants ! ». Elle apprécie de discuter avec les gens, les plus âgés et les plus seuls surtout. « Pour certains, j’étais l’unique personne qu’ils voyaient de la journée ». Quand il a été question de tournées chrono et d’un service payant pour les seniors, elle a déchanté.

Plus tard, référente du Secours catholique de Toulon pour les enfants roms, elle crée « L’école du mercredi » : « Pour ces enfants qui souvent font leurs devoirs sur un bout de trottoir, c’était important de les aider à suivre en classe ».

L’école, parlons-en. C’est à cette époque qu’elle décide de passer le bac, « pour faire plaisir à ma maman ». Elle a 56 ans, est déjà grand-mère, et enchaîne avec un BTS GPME (gestion de la PME) pour pouvoir encore mieux travailler dans le social. Et ce faisant contribuer à faire changer le regard des autres. Un sacré chantier aussi, mais non rémunéré celui-là. ♦

 

Bonus
  • En savoir plus sur Grandir. Ce projet d’innovation sociale émane de la volonté du directeur du Groupe La Varappe, Laurent Laïk, et sa collaboratrice Laurence Cesari. L’idée est de recruter autrement. Susciter des rencontres inédites entre des entreprises en quête de talents ou de qualités particulières, et de personnes éloignées de l’emploi. Deux territoires sont concernés : Aix-Marseille et, beaucoup plus loin, Mayotte.

Différents acteurs marseillais de l’inclusion ont participé au montage du programme, notamment l’incubateur d’idées Marseille Solutions et le réseau d’entrepreneurs Cap au nord.