Fermer

La ronce, une amie qui nous veut du bien

Par Marie Le Marois, le 2 novembre 2023

Journaliste

Les ronces sont utiles pour la biodiversité @Marcelle
Épineuse, inesthétique, envahissante, la ronce est une plante indésirable qui termine souvent arrachée. Elle est pourtant parée de nombreuses vertus. Certains maraîchers ont fait même de cette mal-aimée leur alliée. Reportage à la ferme ‘’Du Saule au Jardin’’ à Beauvoir-sur-Niort, dans les Deux-Sèvres. 

 

Son jardin de 2500 m2 cultivés abrite une trentaine d’espèces de légumes toute l’année, ainsi que de nombreuses variétés. « Plus de 30 tomates anciennes différentes issues de mes propres graines », souligne avec une pointe de fierté Brice Terrien, maraîcher Du Saule au Jardin. Lorsqu’il a pris possession de ces terres, en 2019, il y avait un verger, des haies et des parcelles potagères travaillées de manière traditionnelle. Ce Béarnais d’origine, lui, préfère pratiquer l’agro-écologie et s’inspirer « des techniques du jardinage sauvage ». Cultiver avec les ronces en fait partie.  

 

 

Régénération des sols

Ronce Brice
Brice terrien, maraîcher agroécoologique, devant sa haie de ronces @Marcelle

Le trentenaire, physique sec et barbe soignée, montre dans son champ les nombreux ronciers, dont certains atteignent 30 mètres de long. Brice Terrien ne sait pas à quelle espèce de Rubus ils appartiennent (bonus), mais en distingue deux sortes : les rampantes et les buissonnantes. Les premières couvrent le sol. Les secondes sont capables de monter jusqu’à trois mètres et représentent un lieu de croissance privilégié pour les jeunes arbres.

Effectivement, à la ferme Du Saule au Jardin, au milieu de manteaux d’aiguillons surgissent ici et là un figuier, un frêne, ainsi qu’un pommier. Pour mieux étayer son propos, l’agriculteur nous emmène dans son futur jardin-forêt (bonus) observer deux pommiers juvéniles, dont l’un croît au milieu des piques. « Il pousse beaucoup plus vite que son voisin qui se trouve en dehors », fait-il remarquer en pointant le bois plus clair d’une branche, indicateur d’une nouvelle pousse. La ronce est la championne pour coloniser les espaces nus, les friches et même les tas de pierres. Elle est le foyer des jeunes forêts et fait avancer les séculaires. Elle est d’ailleurs surnommée “berceau du Chêne” en Lorraine et  “mère du Hêtre” en Normandie. 

 

♦ Les jardins de Valloires abritent le Conservatoire national des Ronces (Rubus sp.) Près de 100 espèces sont réunies en grande partie dans l’île des épines douces.

 

Berceau pour de jeunes arbres

figuier ronce
Un figuier a poussé au milieu des ronces @Marcelle

Son système racinaire structure et aère la terre, la nourrit avec la décomposition de son feuillage semi-persistant et y fixe l’azote atmosphérique (bonus). Elle la protège des sécheresses, du vent, de l’érosion, des parasites et des premières gelées. Enfin, « elle conserve l’humidité », ajoute le paysan tout en empoignant de la terre. « Dessous, c’est de l’humus comme un sol de forêt » avec plein de vie. « Il suffit de mettre un coup de pioche pour y voir plein de vers de terre », insiste celui qui bichonne ces organismes aux superpouvoirs. La ronce a également la vertu de protéger les jeunes pousses des gros mammifères, tels sangliers et chevreuils. « Inutile d’entourer mes fruitiers de plastique, je laisse faire le phénomène naturel », ajoute le professionnel.  

Elle est également efficace pour les cultures qu’elle borde. Comme toute haie, elle leur apporte de l’ombre et les protège du vent.

 

 

Abri pour les animaux

La ronce, une amie qui nous veut du bien 4
Brice Terrien indique la nouvelle pousse d’un jeune pommier @Marcelle

Son enchevêtrement de branches et de feuillage semi-permanent attire pollinisateurs, mammifères et oiseaux, qui jouent un rôle de régulateurs pour les plantes maraîchères et les fruitiers. En effet, la faune y trouve gîte et couvert, « nidifie et se reproduit » à l’abri des prédateurs. La fiente des oiseaux, truffée de graines de fruitiers, vient enrichir à son tour la terre. « La graine va donner un arbre, le cycle repart ». Le roncier a également l’avantage – comme les haies toujours – d’être un couloir écologique. Si précieux pour la biodiversité : insectes et mammifères peuvent migrer d’un endroit à un autre sans s’exposer. Au printemps, en raison de sa longue et belle floraison, il est un régal pour les pollinisateurs dont les abeilles.

 

Nutriments pour l’homme

Mûres
Mûres de mûriers ou de ronces ? @Pixabay

Cet arbrisseau est également un régal pour l’homme. Des feuilles aux mûres, en passant par les bourgeons et les jeunes pousses (ou turions), tout se mange. Les mûres (ou mûrons) – comme la plupart des fruits rouges et des petites baies – sont riches en micronutriments, en fibres et en antioxydants dont notre organisme a besoin pour bien fonctionner. Les bourgeons, préparés en macérât, ont une action particulière sur les sphères ostéo-articulaires et respiratoires. Les feuilles, en tisane, favorisent le drainage et constituent un anti-inflammatoire pour les infections de la gorge. Elles sont également un palliatif au tabac.

 

Dompter le roncier

ronce stolon
Brice Terrien montre une stolon, tiges qui, lorsqu’elle touche le sol, s’enracine @Marcelle

S’il est important de garder les ronciers, il est néanmoins nécessaire, pour Brice Terrien, de les dompter. Dans cette idée, il coupe à l’automne les stolons. C’est-à-dire les tiges qui, lorsqu’elles touchent le sol, s’enracinent et produisent un nouveau pied. « Si on coupe les bords du roncier pour détruire ce qui dépasse, on empêche sa progression. Et en même temps, on augmente sa production en fruits », argumente ce féru d’un modèle agricole résilient (bonus). Il effectue cette tâche à la débroussailleuse, à l’automne, avant que les stolons ne s’enracinent. « Surtout pas au printemps, c’est la période de nidification », alerte ce pédagogue. 

Il serait faux de dire qu’il ne supprime aucun roncier. Il en a réduit fortement un pour installer ses plants de tomates. Mais cet arbrisseau, tenace, ne disparaissant jamais complètement, Brice Terrien a recouvert la parcelle d’une bâche d’ensilage recyclée.

 

Atelier sur les ronces 

La ronce, une amie qui nous veut du bien 5
Cette petite forêt a pu renaître, après la tempête Xinthia, en partie grâce aux ronces @Marcelle

Lorsque la nature n’a plus besoin de la ronce, lorsque l’arbre lui fait de l’ombre, alors la belle disparaît naturellement. Cette mutation s’est produite à 500 mètres Du Saule au Jardin, dans une petite forêt déracinée par la tempête Xynthia en 1999. Le tapis d’aiguilles a laissé place à des arbres victorieux.

Brice Terrien intervient prochainement dans une classe de CM1 de sa commune pour expliquer les écosystèmes, une commande du Centre d’Étude Biologique de Chizé (bonus). Il a choisi d’aborder cette notion complexe et abstraite… par les ronces.♦

 

Bonus

  • Les ronces sont représentées par un millier d’espèces différentes, dispersées dans le monde entier. En France, elles sont une centaine. 

Les plus courantes : le framboisier (Rubus idaeus), la ronce commune (Rubus fruticosus), la ronce bleue (Rubus caesius), la ronce des rochers (Rubus saxatilis), la ronce naine ou des tourbières (Rubus chamaemorus), la ronce arctique (Rubus arcticus), la ronce hérissée (Rubus hirtus), la ronce à feuilles d’orme (Rubus ulmifolius), la ronce tomenteuse (Rubus canescens) synonyme : (Rubus tomentosus). Détail ici. 

 

  • L’azote joue un rôle déterminant à la fois sur le rendement et sur la qualité des productions. Il participe en effet à la croissance et au développement de la plante. Détails ici.

 

  • Un jardin-forêt est un jardin créé selon le modèle de la forêt avec des arbres de tailles différentes  et des espèces utiles à l’humain. Ainsi, Brice Terrien mélange fruitiers, arbres mellifères, plantes aromatiques :  poirier, pommier, vigne, noisetier, amandier, lavande, immortelle… 

 

 

« Si demain j’ai une mauvaise production, les conséquences sont légères. Car j’ai besoin de peu d’investissements pour relancer une saison », souligne Brice Terrien. Il produit ses plants avec ses propres graines, travaille avec de la matière organique réalisée sur place – « un peu de fumier de poules, un peu de fumier ». Enfin, son modèle ne dépend pas du pétrole. Il utilise uniquement de l’essence pour chercher du fumier de cheval chez un voisin et amener du broyat de déchets verts au fond du champ. Sa production maraîchère et ses recettes ont plus que doublé cette année. Il a désormais à ses côtés un associé et deux apprentis. Au printemps, il accueillera vingt poules dans son poulailler, ce qui lui permettra davantage d’autonomie pour le fumier.