Fermer

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise !

Par Olivier Martocq, le 29 septembre 2022

Journaliste

Les bateaux de plaisance polluent parce qu’ils sont anciens (23 ans en moyenne) et parce que les matériaux utilisés, comme les peintures antifouling, sont nuisibles pour l’environnement ©Pixabay

Les plaisanciers de Collioure à Menton en passant par la Corse – ils sont 500 000- ont pris au mot Emmanuel Macron en organisant une « Convention citoyenne » le 22 septembre dernier, à Marseille. En sont sorties des propositions concrètes pour protéger la biodiversité et la volonté de co-construire une règlementation très protectrice du littoral méditerranéen français !

 

Les clubs nautiques, associations et fédérations de la plaisance forment un écosystème complexe, où enjeux de pouvoir et de représentativité, rivalités, préséances, égos ne simplifient ni le consensus ni le dialogue. Le lieu de cette première convention citoyenne de la plaisance se devait donc d’être neutre et central. D’où le choix du théâtre de la Criée sur le Vieux-Port de Marseille.

Se posait ensuite la question de la représentativité des participants invités. Si le titre donné à cette réunion s’inspirait de celui de 2019 sur le climat (qui avait réuni 150 Français tirés au sort), ici la cible était plus précise. Dans le droit fil de la dernière initiative présidentielle avec son Conseil National de la Refondation (CNR), il s’agit d’anticiper les mesures inéluctables sur l’environnement qui seront prises pour sauver la Méditerranée (mer morte en 2050 selon le GIEC). Mais aussi de pousser des propositions émanant des « utilisateurs/pollueurs ».

 

Représentativité 

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise ! 1
Associations, clubs, fédérations, syndicats… sont les forces vives de ce secteur © Lionel Lenepveu

Dans la salle, ils sont une trentaine. Et comme pour le CNR (même effectif) ils représentent des associations, des clubs, des fédérations ou des syndicats… Soit un grand nombre de plaisanciers. Surtout, ce sont les forces vives de ce secteur. Ceux qui s’investissent et agissent au sein de commissions et autres structures administratives de gestion des ports ou du littoral.

Michel Lamberti président de la FNS13 (Fédération des Sociétés Nautiques des Bouches-du-Rhône), se félicite de cette démarche, une première ! « Pour une fois que les plaisanciers ont la possibilité de prendre en main l’avenir de la plaisance sans attendre que les règlementations tombent d’en haut, il faut se mobiliser et être des contributeurs. Qui mieux que nous connaît cette Méditerranée sur laquelle nous naviguons et passons un nombre d’heures incalculable ? ». Depuis Montpellier, Serges Pallarès, le président de l’UVPO (Union portuaire des ports d’Occitanie) est à l’unisson. « La prise de conscience est générale. Parce qu’il y a une urgence environnementale et climatique forte que personne, aujourd’hui, ne peut nier. Il y a unanimité pour faire évoluer tout ce qui a un impact négatif sur la Méditerranée. Il faut en profiter ! ».

 

Constat partagé

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise ! 3
Des ateliers pour réfléchir et proposer ©OM

Le constat est sans appel. Les bateaux de plaisance polluent parce qu’ils sont anciens (23 ans en moyenne). Parce que les matériaux utilisés, comme les peintures antifouling, sont nocives pour l’environnement. Tous, y compris les voiliers, utilisent des moteurs thermiques générateurs de gaz à effet de serre et rejettent à la mer des hydrocarbures. Mais Justine Viros, ingénieure de recherche en écologie qui en dresse le constat, met aussi en cause les usages et les pratiques des plaisanciers dont les comportements impactent la biodiversité. « Il y a le rejet en mer des eaux usées, des toilettes, des déchets. Les ancres qui arrachent les herbiers. La pollution sonore ou lumineuse… Or la Méditerranée se régénère sur son littoral. Là où se concentrent les 421 000 bateaux de plaisance ».

François Guerquin, le directeur de Plan Bleu, qui participe au programme pour la sauvegarde de l’environnement de l’ONU, précise qu’il faut se fixer des objectifs à court terme pour 2030, et plus long terme, pour 2050. « Nous avons des objectifs de durabilité clairs dans le domaine de la pollution de l’air, de la biodiversité et des déchets. Cette vision et ces objectifs doivent être partagés avec les acteurs ».

Les représentants d’ONG comme Richard Hardouin de France Nature Environnement acquiescent : « La plupart des gens ne font pas exprès de porter atteinte à l’environnement. Ils ne savent pas ! La prise de conscience doit remonter très en amont. Pour pouvoir agir sur l’élaboration des textes avant d’arriver au débat national formel et aux mesures de restriction inévitables ».

 

♦ Relire l’article : Réconcilier plaisance et protection de la posidonie

 

Écologie positive

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise ! 2
« On peut équiper tous les bateaux de moteurs électriques d’appoint et ça ne coûte pas cher » ©DR

Le refit de la totalité de la flotte est la mesure phare proposée par la convention. À la différence des voitures, changer de bateau se révèlerait être beaucoup trop coûteux et surtout peu écolo-compatible car les vieilles coques ne se recyclent pas. Pour autant, à l’horizon 2030, la circulation à l’énergie propre dans les ports et sur la bande côtière, là où la biodiversité se régénère, a été jugée possible car des solutions technologiques arrivent.

« On peut équiper tous les bateaux de moteurs électriques d’appoint et ça ne coûte pas cher », a expliqué Philippe Lithou. Ce dernier teste depuis deux ans un moteur de triporteur électrique sur sa grosse barque de pêche amarrée dans le Var. Les motoristes présents, comme Jean-Pascal Plumier le président d’OZO, confirment : « Après les moteurs électriques et les batteries pour vélo, nous nous concentrons sur le nautisme. Nous sommes en train de mettre au point des kits à moins de 3 000 euros ».

La motorisation n’a pas été le seul domaine évoqué. Les ateliers participatifs ont débouché sur un véritable catalogue à la Prévert (lire bonus) ! « Et pour cause, il faut répondre à un spectre législatif et règlementaire particulièrement large », explique Grégoire Franc qui suit ce dossier pour NEEDE Méditerranée« Entre les autorités compétentes (OMI, Europe, État, préfectures, territoires et territoriales pour les aires marines protégées ou parcs nationaux) et les domaines concernés (normes sur les équipements, règlementation des usages), il y a du travail ».

 

♦ Relire l’article : Anima Investment Network veut faire de la Méditerranée le berceau d’une économie inclusive et durable

 

Ne reste plus qu’à !

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise ! 5
Les ateliers participatifs ont débouché sur un véritable catalogue à la Prévert © Lionel Lenepveu

Ne reste plus qu’à mobiliser les élus au niveau local, régional et national pour qu’ils accompagnent cette démarche et permettent une co-construction des lois et règlementations à venir. Le temps presse car la prochaine séquence clé se jouera en novembre avec la COP 27. Ce sera en Égypte avec la thématique « sauvegarde de la Méditerranée ». La France pourrait profiter de cette tribune pour faire des annonces fortes et montrer la voie en appliquant des mesures sur son littoral.

Il va falloir aussi relancer une filière industrielle de proximité pour reconditionner les 421 000 bateaux. Les chantiers navals vont manquer de main-d’œuvre. Parmi les solutions évoquées par la convention figure ainsi la relance des « écoles de production ». Une filière professionnelle adaptée aux besoins des entreprises.

Autant d’idées, de chantiers à mettre en œuvre rapidement. « Il existe sur le pourtour méditerranéen un vrai savoir-faire maritime que l’on peut mobiliser », a conclu Emmanuel Noutary, le délégué général de l’association Anima Investment Network. Cyprien Fontvielle le directeur général de Neede Méditerranée a rappelé, lui, que sa structure en charge d’Odysséo (le projet lancé par Emmanuel Macron lors du sommet mondial de la diversité à Marseille en 2021) peut servir d’intermédiateur. ♦

 

Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus
[ pour les abonnés] Synthèse de l’atelier de concertation « La plaisance durable ». Le 22 septembre 2022 au Théâtre de la Criée, Marseille.

  1. La propulsion

Contexte :

La motorisation électrique des navires répond à un grand nombre de problématiques de pollutions maritimes : émission de gaz à effet de serre, de particules fines, rejet d’eau de fonds de cale polluée aux hydrocarbures, bruit. La zone la plus importante en termes de biodiversité est la bande côtière des 300 mètres du rivage : 80% de la biodiversité marine se situe dans cette bande côtière des 300 mètres : la zone à préserver !

Une multiplicité de navires et d’usage :

La concertation met en avant une multiplicité des usages de la mer : navigation côtière en tant que propriétaire ou locataire du navire, navigation hauturière ; et une multiplicité de taille de navires qui ne requièrent pas des technologies identiques.

Il a été proposé de distinguer 3 dimensions de navire (inférieure à 7 m, entre 7 et 15 mètres et supérieure à 15 mètres) dans le cadre de la règlementation.

La sanctuarisation de la bande des 300 mètres a été adoptée par les plaisanciers.

 

Sauvegarde de la Méditerranée : la plaisance se mobilise ! 4
La réflexion s’est voulue exhaustive © Lionel Lenepveu

Le coût de la transformation électrique de la flotte :

La question du coût du refit de la flotte en propulsion électrique a également été abordée. Les technologies sont en cours d’expérimentation et leur commercialisation a débuté avec 2 options :

  • Sortir de la zone des 300 mètres du rivage : un petit moteur électrique équipé d’une batterie pour sortir de la zone des 300 mètres vaut aux alentours de 2500 euros ; les équipements nécessaires à l’électrification des navires sont inexistants pour les petites batteries (possibilité de charger la batterie de 4 kgs avec des panneaux solaires ou chez soi)

 

  • Une navigation 100% électrique est plus onéreuse : un moteur 100% électrique équipé d’une batterie pour 8 heures d’autonomie pour un équivalent 40 chevaux, coûte environ 7 500€ ; les équipements des ports sont aussi plus onéreux. Il serait nécessaire de fournir plus d’électricité sur les quais et de revoir les ampérages disponibles sur les bornes (le temps de charge avec une prise 16 ampères sera assez long, les panneaux solaires du navire ne se suffiront pas à charger et la batterie n’est pas transportable).

Conclusion :

La multiplicité des navires, des usages, la sanctuarisation de la bande des 300 mètres, le coût financier et les équipements éventuellement nécessaires contribuent à proposer la mise en œuvre d’incitations financières de la part des pouvoirs publics pour financer l’électrification des navires de plaisance.

Cette incitation doit faciliter la transformation de la flotte et lui permettre de sortir de la zone des 300 mètres de manière électrique d’ici 2025 et de manière obligatoire à l’horizon 2030.

Une prime de 1 000 euros à la conversion électrique par bateau permettrait d’engager la transformation de la flotte. Les propriétaires ayant le choix de se munir d’un moteur d’appoint électrique équipé d’une batterie ou de passer à la navigation 100% électrique.

Il y a environ 421 000 bateaux immatriculés en Méditerranée française dont 86% font moins de 7 mètres. L’enveloppe de la mesure avoisinerait 4,1 millions d’euros pour un impact positif sur la biodiversité très conséquent.

À noter que le développement de la filière économique et du savoir-faire en batteries électriques sur mesure représente un potentiel d’emplois locaux important.

 

♦ Relire : Vers un statut « bateaux propres » ?

 

  1. Les navires hors d’usage et recyclage

Le transport des navires hors d’usage vers les centres de recyclage :

Le transport des navires hors d’usage vers les centres de recyclage n’est pas financé par l’éco-organisme APER.

Plusieurs préconisations de financement du transport :

  • Le surcoût demandé aux navires inscrits en tant que passager dans les ports pourrait être affecté au transport des bateaux hors d’usage
  • Des collectivités (Région Bretagne) ont entrepris des expérimentations pour financer le transport des navires hors d’usage
  • Le navire qui va occuper la place laissée vacante par le navire hors d’usage envoyé au recyclage pourrait également participer au coût du transport.

La gestion des anneaux portuaires :

La gestion complexe des anneaux liée à un déficit structurel de places au port amène des stratégies de conservation des anneaux et la fameuse pratique du 51/49 où l’ancien propriétaire cède officiellement 49% des parts du bateau, ce qui permet au nouveau propriétaire de conserver l’anneau initial du navire.

Proposition de lutter contre cette pratique : le port demande une attestation d’assurance au nom de tous les propriétaires du navire. Les vendeurs ne souhaitant généralement pas apparaitre sur l’assurance en cas d’accident, les montages 51/49 disparaissent du port.

Il apparait que le règlement intérieur des ports et son application réelle est un levier important de lutte contre les navires ventouse et le transfert d’anneau officieux : attestation d’assurance au nom de tous les propriétaire, grutage obligatoire une fois par an, signature physique de tous les propriétaires du renouvellement annuel.

 

Autre problématique :

Le maître de port dispose effectivement d’une procédure spécifique pour sortir les bateaux hors d’usage des ports. Mais ils rencontrent une difficulté à mettre en œuvre la procédure pour les bateaux sans immatriculation ou dont les propriétaires sont décédés.

Le contrôle technique maritime :

Pour rappel, les navires au port doivent être navigables, pour rendre la procédure plus simple et objective au maitre de port pour demander l’évacuation et la destruction d’un navire au maitre de port, la création d’un contrôle technique pourrait être envisagée.

La navigabilité d’un navire repose sur plusieurs critères :

  • La flottabilité
  • La propulsion
  • L’amarrage

Le contrôle technique pourrait également avoir une dimension environnementale pour conditionner l’accès à certaines zones (Aires Marines Protégés, Parc Nationaux …) à l’aide de vignettes Crit’Air.

Attention le contrôle technique maritime ne doit pas reposer sur des attestations de fonctionnement du moteur confiées à des professionnels. La plaisance est une activité de passionnés qui font énormément par eux même et ont peu recours à des professionnels.

 

  1. Le mouillage

 

4 solutions techniques à explorer :

  • Stop Ancre : dispositif de stabilisation de l’ancre dans le sable
  • Ancre flottante dite « parachute » qui permet de stabiliser le navire
  • Géolocalisation, pour les bateaux de plus de 15 mètres, directement reliée aux moteurs du navire qui se mettent en route pour le stabiliser
  • Ancre géostationnaire pour les navires de moins de 10 mètres avec une hélice reliée à une batterie lithium

Usage :

  • Besoin de sensibilisation des plaisanciers à la posidonie via les fédérations, clubs et sociétés nautiques, les bateaux-écoles et les loueurs de navires.
  • La rédaction d’une Charte de l’éconavigation.
  • Promouvoir l’application DONIA pour aider les plaisanciers à ne pas mouiller dans la posidonie
  • Former au mouillage lors des locations et lors du permis côtier (inscrit au référentiel mais peu vu en formation)

Les équipements :

Développement des ZMEL et Corps mort en en faisant des récifs artificiels pour promouvoir la biodiversité.

 

  1. L’antifooling

Peu de solutions existent, sera testée le déploiement d’ultrasons dans la coque dans le cadre de l’expérimentation REFIT.

Des techniques sont développées en Australie avec des billes de cuivre immergées ans la résine époxy..

Solutions à explorer.

 

Synthèse des préconisations :
  • Financer la transition électrique de la flotte à hauteur de 1000 euros par navire pour inciter les plaisanciers puis interdire au 1er janvier 2027 les moteurs thermiques dans la bande des 300 mètres du rivage.
  • Établir en concertation avec les plaisanciers et les associations environnementales un contrôle technique des navires
  • Identifier une source de financement du transport des navires hors d’usage vers les centres de recyclage
  • Rédiger une Charte de l’éco navigation (respect de la posidonie, problématiques de la luminosité et du bruit pour la biodiversité …) à destination des plaisanciers via les fédérations, clubs et sociétés nautiques, les vendeurs et loueurs de navire et des bateaux école.
  • Créer des zones de mouillages écologiques complémentaires
  • Rechercher des solutions techniques alternatives à l’antifouling