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Coworking, chambres d’hôtes, ateliers d’artistes : les 1001 reconversions des gares françaises

Par Agathe Perrier, le 24 juillet 2023

Journaliste

Comme près de 150 gares en France, une partie de celle de Marseille-Blancarde héberge une activité sans rapport avec les trains © Agathe Perrier

[train #4] Via le dispositif Place de la Gare, la SNCF veut redonner vie à ses locaux vacants. Après appel à candidatures, ils sont mis à disposition de porteurs de projets contre une redevance dérisoire. Charge à eux de les retaper et de les rendre attractifs pour profiter de leur flux de voyageurs. 

 

Quel est le point commun entre les gares de Salon-de-Provence et de Marseille-Blancarde ? L’appartement de leur ancien chef de gare, à l’abandon depuis des décennies, est aujourd’hui occupé par une activité sans lien avec les trains. Un coworking pour la première, un tiers-lieu d’art contemporain et d’économie circulaire pour la seconde. Et ce ne sont pas des exceptions : les espaces vacants d’une dizaine de gares à travers la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et d’environ 150 autres dans toute la France connaissent aussi une seconde vie.

Une volonté de la SNCF via un dispositif baptisé « Place de la Gare ». « On a des locaux disponibles dans un certain nombre de gares que l’on souhaite valoriser plutôt que de les laisser vides. On les met alors à disposition de porteurs de projet dans le cadre d’appels à candidatures », explique Agnès Moutet-Lamy, directrice régionale des gares Paca et Occitanie. Et toutes les idées sont les bienvenues.

 

 

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Les Ateliers Blancarde ont réussi à conserver les traces du passé des anciens locaux du chef de gare, notamment les tommettes au sol et les moulures au plafond © AP

Loyer dérisoire, mais travaux colossaux

Selon Agnès Moutet-Lamy, la démarche est « gagnant-gagnant ». « L’arrivée d’une nouvelle activité fait vivre les territoires, les porteurs de projet profitent d’espaces pour des sommes modiques et le patrimoine de la SNCF est entretenu », avance-t-elle. Niveau loyer – le terme exact est celui de redevance – il est en effet « symbolique et loin du prix de marché », témoigne Benoît de Beauregard, président de Provence Service, qui s’est installé à la gare de Salon-de-Provence. « Le but de la SNCF n’est pas de gagner de l’argent mais que les bâtiments soient remis en état, vivent, créent du flux… Cela a beaucoup plus de valeur qu’un loyer », note-t-il. Ce que confirme l’intéressée.

Pour autant, cela ne veut pas dire que l’investissement des porteurs de projets n’est pas conséquent, loin de là. « Les locaux étaient dans un état épouvantable », se rappelle l’entrepreneur. 90 000 euros ont été nécessaires afin de les transformer en coworking. À Marseille, à la petite gare de la Blancarde aussi, il a fallu tout refaire. Les Ateliers Blancarde, gérés par l’association Dos Mares, occupent le lieu depuis trois ans maintenant. L’équipe a notamment supprimé de nombreuses cloisons pour aménager une grande pièce. Elle a néanmoins réussi à conserver des traces de son passé, expose Isaline Martinod, en service civique. À l’instar des tommettes au sol ou des moulures au plafond, qui lui donnent un caractère authentique. Aucune obligation cependant : les porteurs de projet ont carte blanche. La SNCF prend d’ailleurs toujours à sa charge les plus gros travaux, ceux dits du propriétaire.

 

Une gare transformée en auberge-école pour les jeunes handicapés
À la gare de Niolon, une asso a ouvert un café et une auberge-école © T Cap’21

De la complexité de l’administration publique

Sur le papier, la procédure pour postuler aux appels à projets est simple. L’annonce détaillée est postée sur le site de Place de la Gare. Les candidats n’ont qu’à monter un dossier et à le déposer. La consultation peut s’étaler de quelques semaines à plusieurs mois, puis le lauréat est désigné au regard « de son modèle économique et de son apport au territoire ». 

Sur le terrain, c’est un peu plus sport. « On a pu bien sûr pu visiter le lieu, mais c’était assez court. Et il faut réussir dans ce petit laps de temps à évaluer les travaux, ce qui n’a pas été facile », confie Benoît de Beauregard. Le volet administratif lui a également donné du fil à retordre. « C’est vraiment compliqué, quand on ne vient pas du monde du public et de l’administration, de comprendre comment cela fonctionne. C’est très encadré, très lent et en décalage avec le monde de l’entrepreneuriat. Heureusement, les équipes de la SNCF en ont conscience et sont très aidantes », apprécie-t-il.

Un flux de voyageurs difficile à capter

Provence Service tire un bilan très positif de son installation à la gare de Salon-de-Provence, plus d’un an après l’ouverture de son coworking. Benoît de Beauregard s’attendait toutefois à tirer davantage profit du flux de voyageurs quotidien. « On s’est aperçu que cette gare est en fait comme une station de métro : les gens ne s’arrêtent pas. Peut-être parce qu’on est à l’étage et que tout le monde ne sait pas que l’on existe », questionne-t-il.

Du côté des Ateliers Blancarde, l’équipe cherche aussi à attirer l’attention des passagers des trains. Elle a pour cela mis sur pied une bibliothèque en libre accès. Son objectif est cependant de toucher surtout les habitants du quartier. C’est pourquoi des ateliers gratuits, animés par des artistes, sont organisés chaque semaine. Ils affichent d’ailleurs souvent complet. « On est de plus en plus intégrés », se réjouit Isaline Martinod.

 

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Dans le sud de la France, les gares de Pertuis, Carpentras et Alès attendent actuellement des candidats © AP

Des projets de long terme

Les Ateliers Blancarde ont fait partie des premiers projets à voir le jour. C’était alors sous l’ancienne appellation de la démarche, « 1001 gares », initiée en 2019. « On a fait évoluer le concept depuis un an avec un nom qui est déjà plus parlant. La seule différence est qu’auparavant on se tournait davantage vers des projets associatifs. On se penche désormais un peu plus sur les modèles économiques des projets afin de s’assurer de leur viabilité. Car notre volonté est qu’ils s’inscrivent sur le long terme », souligne Agnès Moutet-Lamy.

Une durée minimale d’occupation est actée entre la SNCF et le porteur de projet. Reconductible, elle peut s’étaler entre deux et dix-huit ans. Une période qui n’est pas arrêtée au hasard. « La loi nous impose de conserver un projet le temps que son porteur amortisse son investissement », précise Louis Coulange, responsable de Place de la Gare pour les régions Paca et Occitanie.

Sur le site internet du dispositif, les gares en attente de candidat ne manquent pas. Signe qu’il est sur de bons rails, encore loin du terminus. Avec 3 000 gares en France, bien que toutes ne soient pas concernées, il y a de quoi faire. ♦

 

Bonus

  • Quelques projets déjà réalisés en Provence… – À Niolon, l’association T Cap’21 a créé un café et une auberge-école dont l’objectif principal est de former et d’employer des personnes porteuses d’un handicap mental ou social (notre reportage ici). Un snack a ouvert à La Ciotat-Ceyreste, un cabinet de notaires à Carry-le-Rouet, un atelier de couture à Lamanon ou encore un atelier d’artistes de production artistique et design d’intérieur a la Penne-sur-Huveaune.
  • … et d’autres à venir – À Aix-Centre, un nouvel espace de coworking de Provence Service est attendu pour cet automne. L’entreprise ambitionne d’ailleurs d’en déployer un ou deux autres dans la région en 2024, toujours dans le cadre de Place de la Gare. À Cassis, des chambres d’hôtes doivent être mises en location d’ici la fin de l’année. Du côté de l’Estaque, l’appel à projets lancé en début d’année est clos. Le nom du lauréat devrait être révélé d’ici la rentrée de septembre. À noter enfin que les gares de Pertuis, Carpentras et Alès attendent actuellement des candidats.
  • Un choix réfléchi de la SNCF – L’entreprise ferroviaire ne sélectionne pas au hasard les gares parmi son vaste patrimoine. « On est en lien avec les collectivités et on s’assure qu’il existe une réelle demande. C’est toutefois déjà arrivé que personne ne se positionne sur certaines gares, notamment pour celles éloignées d’un centre ou mal configurées par exemple », admet Agnès Moutet-Lamy. Un nouvel appel à candidatures pourra néanmoins être lancé dans le futur. Quant à celles dont le porteur de projet met la clé sous la porte avant la fin de la durée d’occupation, elles font de nouveau l’objet d’une mise en concurrence.